Christianisme et culture païenne

Antigone, de Sophocle : loi humaine, loi divine

Le tragédien Sophocle était tellement fasciné par l’histoire d’Œdipe qu’il a écrit plusieurs tragédies inspirées de son histoire. En plus d’Œdipe roi, qui met en scène le jour où il a découvert la vérité sur sa vie, et Œdipe à Colone, qui raconte son acquittement, puis sa mort, Antigone parle de ses enfants. Dans cet article, de notre série sur les tragédies à la lumière de l’Evangile, nous découvrirons cette tragédie.

Contexte

Après le départ en exil d’Œdipe, ses fils Etéocle et Polynice, encore enfants, ont hérité de son trône, avec Créon, le frère de sa mère-épouse Jocaste, comme régent. Devenus adultes, les fils d’Œdipe conviennent de régner par alternance, pendant un an chacun. Cependant, après sa première année de règne, Etéocle refuse de céder le pouvoir à Polynice, qui s’enfuit.

En exil, Polynice s’allie à six autres guerriers, avec lesquels il revient à Thèbes pour conquérir la ville et reprendre son trône. L’expédition s’avère être un désastre : après que les deux fils d’Œdipe se soient entretués en combat singulier, les assaillants sont vaincus et massacrés. (Cet épisode est l’objet d’une tragédie d’Eschyle, Les Sept contre Thèbes).

L’intrigue

Antigone s’ouvre au lendemain de la guerre de Thèbes. Créon, le nouveau roi de Thèbes, ordonne d’enterrer Etéocle avec tous les honneurs dus à son rang, mais de laisser le corps de Polynice, le traître qui a attaqué sa patrie, sans sépulture, afin qu’il soit dévoré par les chiens. Dans la Grèce antique, cela va bien au-delà d’un simple manque de respect au défunt : tant que le corps de Polynice n’est pas enterré, son âme ne peut entrer au séjour des morts, mais elle est condamnée à errer éternellement.

Antigone, la fille d’Œdipe, est indignée par cet ordre injuste : elle estime que c’est son devoir de désobéir à son roi, en honorant le corps de son frère par les rites funéraires.

Créon, persuadé d’avoir pris la bonne décision, se retranche derrière la raison d’état : en tant que roi de la ville, il n’avait pas d’autre choix que de traiter ainsi le traître qui l’avait attaquée. Alors, il se met très en colère lorsqu’on lui annonce que le corps de Polynice a été enterré !

La suite de la pièce est un échange entre Créon en Antigone, arrêtée sur les lieux de son « crime ». Antigone reconnaît son acte de désobéissance conscient à l’ordre royal, mais elle se justifie en faisant appel à une loi supérieure à celle de la cité : la loi divine, qui impose aux sœurs d’aimer leur frère. Créon, inflexible, la condamne à être enterrée vivante. Dans son intransigeance, il reste insensible aux supplications de son propre fils Hémon, le fiancé d’Antigone, qui est venu la défendre.

Créon finira par revenir sur sa décision, après que le devin Tirésias soit venu l’avertir d’un châtiment divin imminent pour son impiété. Mais il est trop tard : Antigone s’est déjà suicidée, suivie d’Hémon et de sa mère Eurydice. Créon, désespéré, renonce à son trône.

Perspectives évangéliques

Cette pièce illustre d’une manière poignante le conflit entre loi écrite et droit naturel. En 1944, pendant l’Occupation, le dramaturge français Jean Anouilh met en scène sa propre adaptation d’Antigone, pour dénoncer le régime de Vichy.

La Bible enseigne que Dieu a créé l’homme à son image, avec un sens clair du bien et du mal et une volonté de faire le bien. Même corrompu par le péché, l’homme a gardé son sens moral et son aspiration à la justice et à la compassion. La tragédie d’Antigone est le meilleur témoignage de ce sens moral profondément enraciné en l’homme, même dans une culture étrangère à la révélation divine. Comme les Apôtres après elle, Antigone choisit d’ « obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes ».

Mais alors, comment sortir de ce dilemme ? Comment faire entendre raison à Créon, afin d’épargner la vie d’Antigone ? Ce fléchissement n’est possible que par la parole divine, annoncée par le devin Tirésias. Malheureusement, il est déjà trop tard. Tirésias n’a pu annoncer que le jugement divin, laissant Créon, qui a tout perdu, seul face à ses regrets. La transformation qui renverse cette situation tragique, libérant à la fois Créon de sa folie et Antigone du châtiment injuste, n’est possible que par celui qui a promis : « Je vous donnerai un cœur nouveau, et je mettrai en vous un esprit nouveau ; j’ôterai de votre corps le cœur de pierre, et je vous donnerai un cœur de chair. » (Ezéchiel 36:26)

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