Histoire de l'Eglise romaine

La Bibliothèque de Photios : un aperçu des lectures d’un évêque chrétien médiéval

Photios de Constantiniple

Photios était évêque de Constantinople au 9° Siècle, à l’apogée de l’Empire byzantin. Sa Bibliothèque, un ensemble de résumés de livres qu’il a lus, offre un aperçu intéressant des lectures de l’élite chrétienne au Moyen-Âge. Cet ouvrage est particulièrement important pour les spécialistes, en ce qu’une grande partie des livres qu’il mentionne sont aujourd’hui perdus et que le résumé de Photios est la seule source dont ils disposent pour connaître leur contenu. Pour nous, il est intéressant de noter que, contrairement à l’idée largement répandue selon laquelle le christianisme médiéval était hostile à la culture pré-chrétienne, la Bibliothèque de Photios contient aussi des ouvrages païens.

Qui était Photios de Constantinople ?

Photios de Constantinople â été évêque de la capitale byzantine, de 858 à 867, puis de nouveau de 877 à 886. Il est considéré comme l’évêque de Constantinople le plus influent.

Issu d’une famille noble de Constantinople, Photios a reçu une excellente éducation. Le mariage de son frère avec la sœur de l’Impératrice Théodora lui a permis d’accéder à des fonctions prestigieuses : il a été capitaine de la garde impériale, premier secrétaire impérial et ambassadeur auprès du calife abbasside, à Bagdad, avant de se réorienter vers une carrière ecclésiastique pour devenir évêque de Constantinople, une fonction que son grand-oncle Tarase avait occupée avant lui.

Son épiscopat est marqué surtout par la conversion des Slaves. Par ailleurs, il est entré en conflit avec le pape de Rome, sur la question du degré d’autonomie de l’évêché de Constantinople, deux siècles avant le schisme de 1054.

La Bibliothèque de Photios

Photios a écrit un ouvrage intitulé Bibliothèque, ou Myriobiblos (myriade de livres, dix mille livres). Il s’agit de résumés de plusieurs centaines de livres que l’auteur avait lus. La longueur de ces résumés varie, d’une seule phrase à plusieurs pages. La Bibliothèque de Photios peut être considérée comme la première revue littéraire de l’histoire.

Un peu moins des deux tiers des livres mentionnés dans la Bibliothèque sont chrétiens, contre environ un tiers de livres païens, avec quelques auteurs juifs et un auteur manichéen. Les ouvrages chrétiens sont essentiellement des commentaires bibliques et des controverses théologiques, tandis que les païens sont surtout des ouvrages historiques et rhétoriques, avec assez peu de philosophie et de sciences naturelles.

La plupart de ces livres sont aujourd’hui perdus. Pour beaucoup d’entre eux, le résumé de Photios constitue la seule source dont nous disposons aujourd’hui, pour connaître, au moins en partie, le contenu de ces ouvrages.

Le fait que tant de livres aient été perdus est-il la preuve qu’ils ont été détruits par une Eglise chrétienne médiévale hostile au savoir profane, ou, du moins, qu’ils ont disparu parce que les scribes chrétiens ont négligé de les recopier ? Pour valider cette hypothèse, il faudrait qu’on puisse constater un meilleur taux de conservation des ouvrages chrétiens. Or, ce n’est pas le cas : les livres chrétiens ont autant de chances d’être perdus que les autres.

Le blogueur Tim O’Neill a calculé le pourcentage de livres chrétiens et non-chrétiens contenus dans la Bibliothèque de Photios qui ont été préservés jusqu’à notre époque. Il présente les résultats sur son blog (en anglais). Pour les ouvrages dont seulement des fragments ont été préservés, il compte comme « conservés » ceux dont on dispose aujourd’hui de plus de 60% du texte original, un choix évidemment arbitraire, mais raisonnable.

Tim O’Neill fait la liste de 294 livres, dont 185 chrétiens et 109 non-chrétiens. La plupart des livres de la deuxième catégorie sont païens, avec aussi 8 livres juifs et 1 livre manichéen. 107 de ces livres ont été conservés, tandis que les 187 autres sont perdus.

Sur les 185 livres chrétiens, 66 ont été conservés (35,67%), contre 109 perdus (64,33%). Pour ce qui est des 109 livres non-chrétiens, 41 ont été conservés (37,61%), contre 68 perdus (62,39%). On voit que les chances de préservation d’un ouvrage chrétien ou non sont sensiblement les mêmes.

J’ai choisi de détailler davantage le calcul de Tim O’Neill, en distinguant les livres païens et juifs. Ainsi, 35% des ouvrages païens ont été conservés. Sur les 8 ouvrages juifs, 5 ont été conservés, soit 62,5%, ce qui s’explique par leur importance : il s’agit de l’œuvre de Flavius Josèphe et de Philon d’Alexandrie ; parmi les ouvrages perdus, il y a Juste de Tibériade. Le seul ouvrage manichéen mentionné est perdu.

Le fait que tant de livres aient été perdus montre qu’en cette époque ancienne, plusieurs siècles avant l’invention de l’imprimerie, où l’encre et le parchemin étaient des ressources rares qui coûtaient cher, tous les ouvrages qui n’étaient pas d’une importance aussi fondamentale que la Bible, les épopées d’Homère, la philosophie de Platon ou la physique d’Archimède, n’avaient que peu de chances de survivre à travers les siècles. En revanche, on ne trouve aucune trace d’une volonté délibérée de faire disparaître les ouvrages païens, ni même d’une négligence inconsciente ayant mené à leur disparition plus rapide. On peut même dire que, si la totalité des livres de la Bibliothèque de Photios, ainsi que le texte de la Bibliothèque elle-même, n’ont pas disparu, c’est grâce aux efforts des scribes, qui étaient surtout des moines chrétiens, afin de les préserver.

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